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Paul VOIVENEL

Homo multiplex

Le médecin, le sportif, le penseur, le chroniqueur, l’écrivain, l’ami de Bourdelle.

par Philippe BECADE - Membre titulaire

 

Sous la plume d’Antoine de Saint Exupéry on peut lire dans « Citadelle » l’affirmation suivante : « Le disparu si l’on vénère sa mémoire est plus présent que le vivant ».

Peu connu du grand public excepté des plus anciens qui se souviennent de ses chroniques hebdomadaires sur radio-Toulouse, Paul Voivenel demeure pour les spécialistes un pionnier de la psychiatrie de guerre et des études comportementales du soldat comme en témoignent ses livres et publications scientifiques tirés de son expérience personnelle, elle-même forgée par quatre années de guerre passées au contact de ceux qui resteront pour toujours : les poilus.

Mais Paul Voivenel fut beaucoup plus que cela car au grand médecin il faut adjoindre le sportif, l’homme de lettres auteur d’une vingtaine d’ouvrages, le conférencier demandé par les sociétés les plus prestigieuses, le chroniqueur de radio et de presse écrite.

 Imprégné de culture classique (ses publications fourmillent de citations grecques ou latines) il se voulait marchant sur les traces de son cher Montaigne portant sur ses congénères un regard d’entomologiste empreint de bienveillance mise à part son aversion pour le snobisme parisien. Enfin il devint et demeura jusqu’à la mort de ce dernier l’ami d’Antoine Bourdelle.

Paul Louis Joseph Marie Voivenel naît le 24 septembre 1880 à Séméac Hautes Pyrénées, village proche de Tarbes où son père Louis capitaine de gendarmerie vient d’être muté après une brillante conduite lors de la guerre de 1870 qui lui a valu la Légion d’honneur. Sa mère est originaire de Colmar et a vingt ans de moins que son mari. Cette jeune mère va décéder d’une pneumonie. Le père suivra quatre ans plus tard probablement de tuberculose non sans s’être remarié un an plus tôt avec une veuve sans enfant de 48 ans, Catherine Dupont qui élèvera le petit Paul mais dont Voivenel ne parle pas dans ses écrits au point qu’il faut fouiller dans ses archives pour retrouver son nom. Car si Voivenel a beaucoup écrit il s’est très peu livré.

Ecoutons ce qu’il en dit lui-même : « Ayant perdu ma mère à 18 mois, mon père à 5 ans, seul, impécunieux et destiné à faire un ouvrier, j’étais apprenti à 15 ans quand un médecin qui ne savait pas ausculter l’âme me condamna pour une tuberculose. Il ne se doutait pas que mon oreille, hyperesthésie par l’inquiétude, entendit tomber le couperet de ce diagnostic, et quand je me levai, je refusai de lui serrer la main. J’avais déjà un fichu caractère… »

L’élève plutôt paresseux du lycée de Tarbes pratique les sports de l’époque : lutte, gymnastique et sous l’impulsion de l’aumônier du lycée (comme d’autres plus tard au collège Saint Théodard) découvre un sport tout nouveau : le rugby qu’on appellera quelque temps encore la barrette. Il est profondément marqué par la personnalité de ceux qu’il appellera « mes modeleurs d’âme » : en particulier son professeur d’histoire ou encore son professeur de philosophie Franck Alengry dont il fera plus tard relier les cours.

Le jeune Paul choisit de faire médecine sous l’influence d’un oncle médecin et fin lettré qui orientera définitivement ses goûts. Il s’inscrit à la faculté de Toulouse, faculté fermée par décret du 18 août 1792 qui supprime universités et facultés et qui ne retrouve son rang universitaire que le 21 mai 1891, jour de l’inauguration par le président de la République Sadi Carnot. Le discours de la ville de Toulouse est prononcé par l’adjoint délégué à l’instruction publique qui n’est autre que Jean Jaurès : « Monsieur le président de la République, au nom de la ville de Toulouse j’ai l’honneur de remettre à l’Etat, en votre personne et en jouissance les bâtiments de la faculté mixte de Médecine de pharmacie et de la faculté des sciences car c’est bien Toulouse qui a fait cela… ».

Il vit difficilement en préparant les jeunes au baccalauréat et en dispensant des cours de philosophie à 30 sous de l’heure tout en fréquentant la librairie Privat qui sert de lieu de rendez-vous à l’élite culturelle toulousaine. Ses études médicales commencées à Toulouse il les terminera à Paris.

Service militaire en 1901 car le sursis pour études n’existe pas à l’époque. Il apprend alors que sa belle-mère a réussi à faire transformer la petite rente qu’il recevait en versement unique ce qui le conduit à rompre avec la famille. Cela souligne s’il en était besoin l’isolement affectif dont il a souffert dans son enfance : « l’orphelin que j’étais ne connut jamais les caresses d’une mère » éclairant ainsi son écorce rugueuse qu’il appelait sa « bogue ». 

En 1903 Paul épouse Marie-Louise Teulières ariégoise originaire de Capoulet-Junac dans la vallée de Vicdessos au pied du Port de L’Hers. Ce-faisant Il n’épouse pas que Marie-Louise : il épouse aussi le village qu’il appelait « mon village renatal » et dont il deviendra tout naturellement maire dans les années trente séduit par la vie paysanne : « les cris d’un chien de berger dans la prairie, l’angélus de Junac…les foires de Tarascon et de Vicdessos qui déplacent des hommes maigres dont les visages âprement sculptés portent le petit béret et des femmes coiffées de voiles sombres… »

L’amour pas plus que les études n’empêche pas Voivenel de jouer au rugby arrivé d’Angleterre et qui a diffusé dans le sud-ouest à partir de Bordeaux. Le rugby, avec deux ou trois « r » dans notre région, connaît un succès extraordinaire au niveau universitaire. Sa carrure le propulse au poste de pilier mais il n’existe pas encore de structures dédiées : on joue en bord de Garonne à la prairie des filtres ou il faut à chaque match tracer les lignes et planter les poteaux qui sont ensuite démontés et stockés chez un épicier de la rue Laganne ! Le rugby tiendra toujours une place importante dans la vie de Voivenel comme nous le verrons mais pour l’heure la priorité est à la médecine.

Brillamment reçu deuxième au difficile concours de l’internat il hésite entre la chirurgie qui était à l’époque la spécialité la plus prestigieuse et la neuropsychiatrie qu’il choisira pour deux raisons : une raison générale : la spécialité est en pleine révolution avec les travaux de Broca, de Vernicke, de Babinski pour ne citer que les plus importants et à Toulouse de Ribot (psychopathologie). La seconde raison c’est son goût pour la littérature aussi se plonge-t-il avec passion dans les études qui paraissent sur l’épilepsie de Flaubert et de Dostoïevski, la probable psychose hallucinatoire de van Gogh ou les troubles comportementaux de nos poètes les plus prestigieux sous l’influence des diverses drogues sans oublier la neurasthénie de Musset, de Byron, de Lamartine ou encore d’Edmond Rostand. Et dès la fin de son internat il publie sur la folie de Maupassant. C’est donc tout naturellement qu’il intitulera sa thèse « littérature et folie ».

Il écrit à ce sujet : « La thèse ? une formalité : quelques cinquante pages sur « littérature et folie » …Zut ! j’avais tellement lu. Tant pis j’écrivis, j’écrivis, j’écrivis, j’y passai des nuits… les cinquante pages prévues étaient devenues plus de quatre cents ». (La thèse en comptera en réalité 560) Avec sur la page de garde une devise qui deviendra son ex-libris : « Ad vitae gloriam » devise dont André Soubiran dira qu’elle devrait être celle de tous les médecins.

En outre le sujet est à la mode avec l’écrivain et chroniqueur Rémy de Gourmont un des fondateurs du nouveau Mercure de France qui écrit sur « la création subconsciente ». Voivenel insiste sur la notion d’exacerbation des émotions et des perceptions chez l’écrivain et soutient la thèse que certaines pathologies notamment la mélancolie sont facteurs d’inspiration comme chez Nerval ou Musset. Il hasarde même l’idée que le déséquilibre cérébral de certains écrivains est dû à un développement anormal des zones du langage et du cortex préfrontal ce qui ne sera jamais démontré.

Le retentissement de ce travail est tel que Félix Alcan qui préside aux destinées de la Bibliothèque de philosophie contemporaine va la faire éditer et diffuser.

Reçu sans problème au concours de chef de clinique (il en sera élu plus tard président national) la suite semble toute tracée vers la voie royale mais il est brillant et a du caractère ce qui agace son chef de service le professeur Remond et le poste d’agrégé qui lui paraissait destiné s’envole définitivement.

 Tout en exerçant son métier il fait ses débuts au Mercure de France où il côtoie notamment Paul Léautaud et Jules Renard. Le conférencier s’affirme, servi par une voix rauque, presque rocailleuse, une phrase courte, des formules lapidaires, parfois crues n’hésitant pas par exemple à affirmer qu’il suffit de réfléchir à la forme du ballon de rugby pour pouvoir dire que c’est bien un sport d’homme…Le rugby où le joueur s’est mué en dirigeant en devenant président du comité des Pyrénées. Il en composera lui-même le blason : la Garonne, le dôme d’une église, un horizon lointain de montagnes avec comme devise : « pour la grande Patrie, par la petite ».

 Mais coup de tonnerre dans un ciel plus que menaçant, le 3 août 1914 éclate la guerre. Voivenel a 34 ans. Il rejoint immédiatement la 67ème division. Il connaîtra la Marne, l’Argonne et puis Verdun où il est affecté à un poste avancé, médecin chef des ambulances « Z » équipement innovant spécialisé dans les premiers secours aux gazés. Le 211ème tient une petite vallée boisée. Il y écrit : « le poste de secours est encombré. Les blessés s’entassent. Un brancardier inscrit les noms et les blessures. L’odeur fade du sang écœure. Nous piétinons dans un mélange roussâtre de boue, d’eau, de sang et de coton… ». Cette vallée et ce bois portent le doux nom de « La Sélouze » qu’il prendra plus tard comme pseudonyme pour ses chroniques rugbystiques de Midi-Olympique. Le 10 mars 1916 le 211ème est dissous : il ne reste que 200 combattants sur un effectif d’environ 2.000 (thèse Lestrade). Sa conduite en première ligne lui vaut la Légion d’honneur.

Il en écrira trois livres : « Le courage » en 1917 puis « Le cafard » et « La psychologie du soldat » l’année suivante. Il y analyse toutes les composantes de la psychologie collective en temps de guerre, les différences individuelles devant le danger mais surtout il étudie la peur collective donnant naissance au concept de « peur morbide acquise » par ce qu’il appellera : « l’hémorragie de la sensibilité ». Cette notion est absolument nouvelle, les expertises médicales se bornant à différencier les véritables malades mentaux des simulateurs, sorte d’antichambre au tribunal militaire.

Peu à peu les troubles psychologiques seront reconnus et avec l’aide de la Société médico-psychologique il fait admettre ce syndrome de peur morbide acquise comme élément susceptible d’atténuer la rigueur des jugements. Plus tard il notera non sans fierté que pas un seul homme de sa division n’a été exécuté. Aujourd’hui personne ne conteste plus l’authenticité de ces états de stress post-traumatiques quelle que soit l’origine du traumatisme. Voivenel racontera tout cela en détail et sans concession avec un souci constant de vérité dans les quatre tomes d’un ouvrage intitulé « avec la 67ème division de réserve ». Ce livre sera reconnu et salué par ceux qui avaient vécu la guerre de près comme Roland Dorgelès (« les croix de bois ») ou Maurice Genevoix (« ceux de 14 ») et obtiendra le prix Montyon décerné conjointement par l’académie Française et l’académie des Sciences à un ouvrage à la fois littéraire et philosophique. Mais l’écriture ne suffit pas : après sa démobilisation il s’occupera bénévolement du centre de neuropsychiatrie des armées jusqu’à sa dissolution en 1921. Sa clairvoyance lui fait pressentir les conséquences futures du traité de Versailles puisque en 1919 il fait part de ses craintes à Clémenceau dans un appel angoissé. On connaît la suite…

Il continue d’approfondir sa réflexion médicale autour de la psychopathologie et en particulier sur l’interaction esprit-sensibilité-affectivité. Il écrit : « Il y a en nous une nappe profonde d’énergie alimentée par notre sensibilité. Cette énergie doit s’écouler en actes, en pensées, en émotions. Des émotions fortes et répétées créent une hémorragie de la sensibilité à l’origine des troubles anxieux et dépressifs. Des émotions non extériorisées entraînent une congestion de la sensibilité et sont à l’origine des névroses ».

Cela le conduira à s’intéresser aux grands procès criminels et à leur composante psycho-sociologique.

Il est au premier plan comme expert dans une affaire retentissante aujourd’hui oubliée : l’affaire Lefèvre où est jugée une femme coupable d’avoir assassiné sa belle-fille enceinte de cinq mois. Madame Lefèvre est passible de la peine capitale. Paul Voivenel commis comme expert déclenche un véritable scandale en développant le concept de « folie raisonnante » et en soulignant la perturbation psycho-pathologique de l’accusée malgré l’hostilité violente de l’opinion et de la presse. Ayant selon la formule de Turgot le tort d’avoir raison trop tôt il n’est pas suivi par le jury et la peine de mort est prononcée. Dans la foulée il publie un essai sous le titre : « les belles-mères tragiques ». Suivront « la chasteté perverse », « La madone de l’arsenic » et « du satyre au timide ». Mais son œuvre magistrale est incontestablement le livre intitulé « le médecin devant la douleur et devant la mort ». (On peut voir dans ce titre un lien avec le choix du sujet du futur monument aux morts de Capoulet-Junac). Il y exprime sa foi en l’humanisme qui seul peut nous sauver, humanisme souligné par des formules dont il a le secret : « c’est creux le cœur pour recevoir ». L’analyste n’est jamais bien loin du praticien : « j’ai ausculté les hommes nus et en les auscultant je m’auscultais moi-même ».

Georges Duhamel médecin avant de se consacrer à l’écriture parle à propos de ce livre « d’un savoureux mélange d’expérience et d’érudition, de réflexions substantielles et de citations ingénieuses, de savoir strict et de libres rêveries. C’est vraiment là l’œuvre d’un esprit de vieille marque ». Et s’adressant à l’auteur il ajoute : « s’il nous fallait nommer notre maître à tous, je pense que vous diriez Montaigne ».

Ses talents oratoires se sont d’abord exprimés à Toulouse en particulier dans le grand amphithéâtre vieillot de l’ancienne faculté des lettres où se déroulent de véritables joutes oratoires dans le cadre des « Lundis littéraires » qui faisaient salle comble. Un jour il y parle de « la maladie d’amour ». Le lendemain (19 mars 1925) on peut lire dans La Dépêche : « on s’est battu hier autour de la chaire du docteur Voivenel pour l’écouter en plein carême prêcher de l’amour. Les femmes montaient littéralement à l’assaut de l’amphithéâtre. Il a fallu leur laisser presque toutes les places…C’est le seul conférencier qui n’ait jamais endormi personne. Il appelle un chat un chat ; les dames s’amusent et rient le plus fort… ». Et à propos des rapports physiques Voivenel inventera la formule aussi gaillarde qu’évocatrice de « sismologie ondulatoire… ». Le docteur Vachet le qualifiera de « Mohican cultivé », ajoutant : c’est un caractère… » Travailleur infatigable -ne disait-il pas : « seul le surmenage me repose » - Il donne ses causeries en Espagne, au Maroc ou encore en Suisse. A Paris c’est le club du faubourg conçu comme laboratoire d’idées et très en vogue après la grande guerre ou encore la salle Wagram. D’une érudition fascinante il passe avec aisance de Freud à Picasso revenant souvent sur les pathologies des écrivains, soutenant par exemple que dans « le Horla » Maupassant exprime la plainte d’un délirant qui souffre, jouant en permanence sur ce qu’il appelle : « le clavier de nos émotions ». Sa réflexion s’affine sur la physiologie du langage et sur le problème de l’écrivain : adapter le mot à l’idée.

Mais avec Voivenel le sport n’est jamais loin. Le sport : « l’heure de la beauté, de la force et de la jeunesse » selon la belle formule de Maurice Genevoix. Il aime rappeler qu’Aristoclès fut appelé Platon parce qu’il avait les épaules larges. En disciple de Montaigne il soutient que le mouvement est pensée et que la pensée est mouvement. Il admire Philippe Tissié, le premier neuro-psychiatre à prôner l’activité physique contre la dégénérescence avec une jolie formule : « Le jeu est le verbe du muscle ». On peut rappeler au passage que le langage par gestes a précédé longtemps la communication vocale jusqu’à ce que le larynx atteigne la morphologie nécessaire, le langage parlé n’étant que le successeur relativement récent du langage gestuel. Et inversement aujourd’hui nul ne conteste l’importance du langage dans le développement de la pensée.

En 1922 il est président d’honneur du comité des Pyrénées de rugby dont il a été le fondateur et Il a depuis la fin de la guerre une idée en tête : rendre hommage aux joueurs tombés au champ d’honneur et au plus emblématique d’entre eux, Alfred Mayssonnié capitaine du stade toulousain et international tué le 8 septembre 1914 à la bataille de la Marne. Germa alors une idée lors d’une de ces multiples réunions enfumées : ériger un monument à tous les sportifs ayant donné leur vie à la patrie. Voivenel en imagine la légende « ludus pro patria ». Demeuraient trois questions : le type de représentation souhaitée, le choix du sculpteur et réunir les fonds nécessaires.

Alors qu’un concours auprès des sculpteurs toulousains renommés (Parayre, Sylvestre, Abbal) est sur le point d’être lancé, un membre du comité intervient : « j’ai vu hier chez des amis une copie réduite de l’Héraklès d’Antoine Bourdelle, il me semble que cela pourrait convenir ». Enthousiasme général. Ecoutons Voivenel : « il est 16 H. je pars le lendemain pour Paris où je dois assister à la finale de rugby…je connais le génie de Bourdelle, j’ai vu l’Héraklès. Je flambe. Sans recommandations, escomptant l’amabilité naturelle de ces hommes supérieurs qui n’ont besoin du piédestal d’aucun titre pour signaler leur mérite, je vais rue du Maine. Je suis reçu comme un frère et cinq minutes après nous parlions patois. Le maître accepte ». Plus tard il ajoutera : « mon amitié religieuse pour l’athlète que nous pleurons n’avait pas osé espérer cela. Celui qui de ses doigts ardents modela les visages de Rodin, d’Ingres, de Carpeaux, de Rembrandt, de Beethoven saura marquer de son génie la figure de notre cher et modeste Alfred Mayssonnié ». On peut rappeler que Voivenel est pétri de culture classique, que l’Héraklès dont Pindare affirme contrairement à Homère qu’il est à l’origine des jeux olympiques figure un athlète au combat et qu’en grec athlos qui a donné naissance au mot athlète signifie le combat. Pindare qui se faisait payer par les athlètes dont il célébrait les exploits et qui fut sans doute le premier chroniqueur sportif à vivre de ses articles.

Un appel aux dons est immédiatement lancé sachant que Bourdelle ne demande pas de cachet mais il exige des photographies du modèle de face et de profil qui ne le satisferont jamais complètement car c’est le visage de Mayssonié qu’il faut donner à la statue. Le lieu est fixé place du Béarnais au bout du boulevard Lascrosses. Les choses n’iront pas sans difficulté entre les indifférents, les opposants au projet et ceux qui voudraient le récupérer à leur profit. Curieusement le petit monde du rugby lui-même est divisé. Sans doute la forte personnalité de Voivenel n’y est-elle pas étrangère. Le comité recueille 28.000 fr. la municipalité offrant l’emplacement ainsi que les aménagements alentours.

Débute alors une correspondance entre Voivenel et Bourdelle qui ne cessera qu’à la mort de l’artiste le 1er octobre 1929, correspondance que j’ai pu consulter grâce à l’obligeance de la directrice du musée Bourdelle et à l’intervention de Florence Viguié notre estimée consoeur directrice du musée Ingres-Bourdelle.

Des lettres dont la forme étonne ceux qui sont étrangers au tempérament du maître. Elles sont adressées au « docteur P.V. homme de lettres » ou bien au « dr. P.V. Campagnou ». L’écriture est nerveuse, sans ordre. Ce qui lui paraît important Bourdelle l’écrit en majuscules ; il en rajoute dans la marge. Ses angoisses, son irritation voire son exaspération toujours tempérée par une dose d’humour soulignée par quelques « macarel » s’y expriment de manière crue : » Joli cadeau ce thème ! ah ! oui joli cadeau. Et non seulement on est heureux de travailler pour rien pour cette admirable maman qu’est l’école de Toulouse mais encore par-dessus le marché on vous engueule et comment ! Cré coquin de coquin de sort quelle vie vous m’avez foutue cher président ! aussi j’ai pris un sale caractère. Je ne veux plus faire de monuments. Je sors de celui de Montauban…Mais après mes deux villes, zut, zut, zut, je ne veux plus rien savoir ». Le 25 août 1924 : « Hélas ! hélas ! votre lettre !! mon cher ami !!! que ne doit-on pas à des volontés comme la vôtre (Voivenel ne cessait de le presser) mais nom de D… de nom de D…etc… ».

Le 14 octobre : « Difficilement je pousse mon fondeur, car avec le sacrifice qu’il a consenti pour votre comité de Toulouse pour le prix je ne peux pas trop en conscience le chagriner. Il a des grèves, des défections pour maladies … ».

8 Avril 1925 : « L’esculteur » languedocien que je suis n’avait pas à hésiter. Je n’allais pas vous faire un Maysssonié pommadé, endimanché Môssieu mais bien le Mayssonié portant sur sa crinière drue et onduleuse le serre-tête, parlant, lèvres ouvertes, cou ardent et gonflé, en maillot de bataille… J’espère qu’à Toulouse la ville des grands murs vieux-rose, le rose du sang intellectuel  on n’attend pas de moi le joli Mayssonié à col cassé ( poulit et fierot et hardi, mes reserbat a las damos) mais que vous voulez comme moi l’homme en action, crête levée, le sportif ardent, le soldat. Pense-t-il à l’Heraklès furieux de la tragédie d’Euripide où l’on retrouve toute une dramaturgie autour de la folie ? Ou bien à Hegel à qui la vue d’un athlète évoquait « une statue antique mise en mouvement » ? (Plus loin) : j’ai du tout quitter pour votre sacrée inauguration politicarde ! sacré nom de Voivenel, de Campagnou de Toulouse et de sans Subra et de la Dalbade ! Ainsi soit-il. Suis furieux mais je m’en fous pourvu que je travaille car tout est beau quand on s’efforce de créer… ».

Voivenel ajoutera : « que de renseignements précieux pour couler le médaillon dans le ciment ! quelles recommandations pour que le haut des stèles ne soit pas en biseau, pour la forme et l’épaisseur des lettres etc…etc… ». Voivenel souligne là l’extrême considération de Bourdelle pour l’architecture allant jusqu’à dire que la sculpture n’en était que l’ornement.

L’inauguration eut lieu le 25 avril 1925 sous une pluie battante au point que l’arbitre dut interrompre la finale entre Perpignan et Carcassonne. L’arbitre ce spécimen si particulier de l’espèce humaine que Voivenel définit comme un « animal vertébré abandonné des dieux et des hommes ». Gaston Benac le castelsarrasinois, un des pionniers de la presse sportive, écrira : « Toulouse, ancienne capitale des félibres de la terre d’Oc, sut une fois de plus allier de façon sublime l’art et le sport ». Pour sa part Voivenel conclura : « J’ai vu l’Héraklès par tous les temps. J’ai vu le soleil allumer les vagues de ses muscles, le crépuscule agrandir son geste, la neige le ouater de sa blancheur, la pluie lui donner ses luisances. J’ai vu derrière lui changer le fond vivant des platanes, chanter le printemps dans les jeunes feuillages, pleurer l’automne dont j’aime les brouillards autour du temple tandis qu’au soir tombant, sous les arbres qui se dénudent éclatent les premières lumières ».

A dater de cette réalisation qui les a rapprochés, Voivenel et Bourdelle poursuivront des échanges épistolaires réguliers jusqu’à la disparition de ce dernier le 1er octobre 1929. Voivenel dira : « Je le vis souvent, il m’écrivit beaucoup. J’admire l’œuvre, j’aime l’ouvrier ».

Dans son combat pour la réalisation du « monument au sport » Voivenel avait rassemblé les principales personnalités toulousaines amies des arts et des lettres et c’est tout naturellement qu’il fonde « le groupe des vingt » clin d’œil au groupe d’artistes né à Bruxelles à la fin du siècle précédent en réaction à l’art officiel. Ce groupe hétéroclite où se côtoient politiques, académiciens, artistes, professeurs de faculté se réunit de façon informelle pour, selon la jolie formule de Voivenel, « fumer des idées » et fonde une revue baptisée « L’archer » en référence au monument de Bourdelle, revue qu’il sabordera en 1942 à l’arrivée des troupes allemandes en zone sud.

Mais on sait que si : « verba volant, scripta manent ». Or Voivenel a la plume acérée ce qui lui vaut de solides inimitiés générées par ses portraits d’artistes ou écrivains à la mode qui sont de véritables études psychologiques car durant tout l’entre-deux guerres il va fréquenter assidument les milieux parisiens. Ses formules font mouche comme lorsqu’il écrit « j’évite de marcher sur vos arguments par respect pour mes chaussures ».

Cette période est celle d’un intense activité médicale et littéraire, les deux étant d’ailleurs intimement liées. Il est au cœur de ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler la guerre de la psychiatrie qui est attaquée avec violence par un certain milieu littéraire : 1924 est l’année de la publication du « Premier manifeste du surréalisme » dans lequel André Breton écrit : « Je sais que si j’étais fou je profiterais d’une rémission pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence qui me tomberait sous la main ». Voivenel y répond par un essai intitulé « La raison chez les fous et la folie chez les gens raisonnables » dans lequel il amène les lumières de la psychopathologie au débat éternel entre raison et folie. Il y souligne le flou de la frontière entre ces deux états et donne sa définition de la folie : « L’aliéné est un malade dont les troubles de l’esprit sont un obstacle, transitoire ou permanent, à son adaptation à la société dans laquelle il doit vivre. Ce qui le caractérise est donc l’inadaptation ». On retrouve là la notion de degré chère à Canguilhem. Plus tard Michel Foucault écrira de belles pages sur le sujet dans son histoire de la folie.

Au-delà des revues scientifiques les grands quotidiens nationaux souhaitent sa collaboration. Dans ses causeries médicales du Figaro il vulgarise les nouvelles voies en cours d’exploration comme le rôle des chromosomes dans l’hérédité ou la sérothérapie. Il s’élève contre les faux espoirs entretenus comme les greffes de testicules sensées apporter le rajeunissement (les travaux de Voronov eurent un retentissement international). Paradoxalement dans les revues médicales généralistes il tient une rubrique littéraire en précurseur de notre confrère Paul Duchein et de sa rubrique artistique dans « Le pharmacien de France » car avec Voivenel médecine et littérature sont indissociables. Mais si les articles à caractère médical sont signés de son nom les autres le sont sous des pseudonymes : la Sélouze pour Midi-Olympique ou Campagnou pour La Dépêche. Campagnou c’est le médecin de campagne et du franc-parler. Et pour le franc-parler il ne craint personne. Voici, se sentant fort justement visé, ce qu’il répond à Jean Cocteau qui sur les provinciaux de Paris avait parlé « d’une province pire que la province » :

« Au fond d’une vallée perdue, sous les pommiers, les acacias et les châtaigniers, je suis mieux placé que dans les caboulots de Montparnasse pour juger du cubisme, du surréalisme ou de l’existentialisme. Sur les visages burinés je lis les marques des peines et aussi des joies. Je ne lâche pas pour autant la vie de l’esprit et celle de Paris. Mais à côté de Campagnou qui fume ses idées comme ses celtiques je fais le point autrement que dans ces salles remplies du public spécial qui habite Venise à l’automne dont vous vous prévalez. Excusez-moi Cocteau le plantigrade a mis son béret et va se promener ». (Cela témoigne au passage de la place de Voivenel dans la société intellectuelle de l’époque).

Le personnage n’est pas non plus dépourvu d’ambiguïté. Ainsi alors qu’il vient de dire à Antoine Bourdelle : « il ne faut pas courir après les honneurs, le cadre n’ajoute rien à la valeur du tableau…Il y a des rubans qui ressemblent à des laisses », en 1933 il est promu commandeur de la Légion d’honneur à titre militaire et sera décoré par le maréchal Pétain auquel il vouait une grande admiration et qu’il appelait « l’épargneur d’hommes ». Il faut dire qu’il est le médecin et l’ami du président Gaston Doumergue.

Deux ans plus tard après un échec aux élections cantonales à Tarascon malgré le soutien de la Dépêche, il est élu maire de Capoulet-Junac. Capoulet et Junac, deux hameaux réunis par le législateur et qui se détestent avec cette obstination paysanne qui entretient des rancunes ancestrales dont nul ne sait plus l’origine. Le village est si modeste qu’il n’y a pas de monuments aux morts. Voivenel s’en inquiète et pense naturellement à son ami disparu six ans plus tôt. Il contacte la veuve de Bourdelle qui lui aurait dit : « prenez ce que vous voulez ». Il choisit une œuvre préparatoire du majestueux monument de Montauban dédié aux morts de la guerre de 1870. Les trois têtes qui le composent représentent l’épouvante héroïque, la souffrance et la mort. Voivenel en dira : « il est dans sa sobriété d’une puissance terrible. Toute la guerre est là. Et dans chacune le sceau du génie est magnifiquement marqué. Et toute la paix est derrière ces visages, dans les prairies, les arbres fruitiers, le torrent du Vicdessos… ».

Le monument est inauguré par Pétain en personne alors ministre de la guerre qui y prononcera son « discours au paysan-soldat » devant une foule considérable.

Septembre 1939 c’est de nouveau la guerre. Voivenel a 59 ans et témoigne d’un grand désarroi devant l’impréparation matérielle et psychologique de l’armée qu’il exprimera en 1941 dans un livre intitulé « L’âme de la France ». Mobilisé comme lieutenant-colonel il est chargé d’organiser le centre de neuropsychiatrie de la 17ème région avec comme second le professeur Marcel Riser patron du service de neuropsychiatrie des hôpitaux toulousains. Le nouveau chef du gouvernement Paul Reynaud le promeut colonel avec pour mission la mise en place du centre inter-régional chargé de recevoir les « préventionnaires » c’est-à-dire les soldats suspects entre-autres de simulation ou de mutilations volontaires. Mais sur un plan plus politique : que faire ? faut-il suivre Pétain qu’il admire depuis Verdun, ce qu’il a fait sans réticence en 1940, ou de Gaulle dont il pressent le rôle ? En 1942 il écrit « Mon beau rugby » qui est sans doute le plus beau livre écrit sur le rugby d’autrefois, ouvrage qu’il rééditera dans les années cinquante ce qui lui vaudra un hommage de la part de Jean Prat l’emblématique capitaine du quinze de France, surnommé « mister rugby » par la presse britannique. La même année Pétain lui propose un ministère qu’il refuse d’autant plus que dans son centre il accueille sans distinction des juifs, des résistants et qu’il déclare systématiquement inaptes les hommes désignés pour le S.T.O. Mais jamais il ne reniera « le chef », le vainqueur de Verdun. Il est bien entendu Inquiété à la libération mais de nombreux témoignages dont celui de son ami le cardinal Saliège archevêque de Toulouse feront qu’il sera rapidement blanchi. Cela ne lui épargnera pas les rancunes d’autant plus qu’à propos de ce qu’il appelle « la folie collective » de la Libération il écrira : « On accusa, on jugea, on se vengea, on régla des comptes de haine au nom de la vertu et les derniers venus s’enrichirent souvent de la dépouille de leurs victimes…Une folie collective où joies logiques et mauvais sentiments se mélangeaient dans une chaudière infernale » (In hoc signo 1959).

Entre-temps Marie-Louise son épouse avec laquelle il n’a pu avoir d’enfant mais qui comptait tellement vient de mourir. C’est un déchirement au point qu’il fait de sa chambre un véritable sanctuaire régulièrement fleuri. Il se remarie toutefois trois ans plus tard avec France Micoulau artiste peintre qui lui succèdera au fauteuil de maire du village mais il conservera jusqu’au bout un véritable culte pour Marie-Louise.

L’après-guerre le voit se retirer peu à peu de la vie publique non sans regret car s’il aime paraître il recherche sans cesse la reconnaissance sociale. Ses détracteurs ne l’ont-ils pas surnommé « Moi-venel » ? Il reprend aussitôt une activité médicale libérale et cesse sa collaboration avec la presse parisienne. Le monde change vite un peu trop à son goût. Il a du mal avec la modernité littéraire et artistique : « quand Je regarde le dernier ouvrage sur les dessins d’un peintre où Eluard dans sa prose me donne la notion de mon arriération mentale… ». Il écrit plus que jamais : « Les forces mystérieuses de l’esprit » 1946, « Autour des femmes et de l’amour, à propos de Balzac » 1950, « Le vin et l’esprit » 1950, « La méconnaissance de soi » ainsi que ses trois livres de mémoires : « La courbe » en 1955, « Le toubib » en 1956, « In hoc signo » en 1960. Mais désormais il est ignoré des maisons d’édition parisiennes bien que couronné de nombreux prix y compris par l’Académie française. Sa fidélité au vainqueur de Verdun n’y est probablement pas étrangère.

2

Paul Voivenel vient à Montauban où il produit une synthèse de ses trois communications toulousaines de 1951 et donne sa dernière conférence publique à Toulouse salle du Sénéchal en 1954. Accompagné du verre de vin qu’il exigeait à la place de l’eau traditionnelle, Il y traite de « L’angoisse humaine » où il conclue : « On n’est jamais vraiment seul dans sa solitude quand on a vécu dans l’amour de sa profession et fabriqué sa joie de celle des autres…Et puis on s’en va à son heure. Il faut que les feuilles tombent pour que les nouveaux bourgeons poussent ».

Dans la presse il écrit sous le pseudonyme de Campagnou. Par Campagnou il se confronte à son double plus primitif, plus tenace, plus rugueux, son double auquel il fait tenir des propos dont il avouera lui-même qu’il ne les partage pas toujours. Toute la subtilité de Voivenel tient dans cette dualité. La Depêche accueille ses billets d’humeur et les amateurs de rugby attendent avec impatience dans Midi-Olympique ses comptes-rendus du mardi signés La Selouze. Il Collabore à la revue littéraire et artistique « Septimanie » où il côtoie Paul Claudel, André Gide, Paul Valéry. Sur les ondes de radio-Toulouse où il se lie d’amitié avec Charles Mouly demeuré célèbre pour ses aventures de la Catinou et de Jacouty il tient une chronique hebdomadaire intitulée « A bâtons rompus » le mardi en fin d’après-midi qui commence toujours par un : « Bonsoirr mes chers auditeurs, bonsoirr ». Il y fait passer quelques messages. Ainsi : « Et surtout travaillez ! Que les pères de l’Eglise me pardonnent, je ne suis pas convaincu quand la Bible déclare que le travail est une punition. Quand on a un métier dans la peau on l’y garde plus qu’une femme et c’est moins fatiguant ». Il ajoutera plus tard : « J’aime mon métier, un beau métier. Je n’aime me dégonfler que pour mieux regonfler les autres car je sais que la santé est une confiance ». Et il ajoutait sa formule préférée : « seul le surmenage me repose »

Il disserte sur la personnalité du vin, de la richesse de sa langue et souligne sa place dans la littérature des raisins de l’enclos de l’abbaye de Thélème farouchement défendus par frère Jean des Entomeures au Chateau neuf du pape célébré par Alphonse Daudet en passant par Marot, Montaigne, Ronsard, La Fontaine, Nerval, Hugo ou Baudelaire : « qui demande souvent à des vins capiteux d’endormir pour un jour la terreur qui le mine. Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine… ». Béranger le célèbre chansonnier affirme dans une chanson que la vigne fut le principal gain des Gaulois lorsqu’ils prirent Rome en 390 avant notre ère :« Brennus disait aux bons Gaulois, célébrez un triomphe insigne, les champs de Rome ont payé nos exploits et j’en rapporte un cep de vigne ».

Son cabinet médical de La Dalbade ferme en 1963. Paul Voivenel est alors âgé de 83 ans. Il se retire définitivement dans son village où plutôt ses deux villages dont il a réussi l’unité. Capoulet et Junac dont il disait : «ce sont les deux ventricules d’un même cœur dont le Vicdessos est l’aorte ». Il continue d’écrire : « In hoc signo », puis son dernier intitulé « Un homme » dont il dira « Je ne l’ai pas écrit, il s’est écrit tout seul ».

En 1965 le général Catroux grand chancelier de l’ordre vient en personne à Capoulet et Junac l’élever à la dignité de Grand officier de la Légion d’honneur.

En 1973 avec l’aide de Roland Dorgelès président de l’académie Goncourt ses amis montent un dossier de candidature au prix Nobel de littérature. Il dira « Je ne peux empêcher mes amis de me vouloir du bien, je préfère le Nobel de l’amitié ».

Conclusion

Homo multiplex, homme à facettes, Voivenel montre à son interlocuteur ou à son lecteur la partie de lui-même qui l’intéresse. De ce fait il n’est pas facile de saisir sa véritable personnalité. Il en donne l’explication : « La pulpe demeurant vulnérable, j’ai durci la bogue ». Derrière le personnage bourru au caractère d’acier il cache un complexe d’infériorité d’où le besoin perpétuel de s’affirmer. Ses derniers écrits, réflexions sur la vie et surtout la mort qu’il a si souvent côtoyée, traduisent des doutes qui vont grandissant comme pour nous rappeler que les certitudes sont solubles dans les anniversaires.

Peu à peu, tout en continuant à envoyer ses chroniques à La Dépêche et à Midi olympique, il abandonne livres et objets familiers à ses amis répétant souvent : « tu n’emporteras dans la tombe que ce que tu auras donné ». Il s’éteint le 9 juin 1975 à l’âge de 95 ans. La « petite maison » de Capoulet-Junac est transformée en musée. La faculté d’Histoire de Nancy rééditera son journal de guerre.

Il faut bien sur laisser le mot de la fin à ce conférencier hors pair disciple de Rabelais et de Montaigne : « nous sommes tous un problème à nous-même et nous sommes presque tous les mauvais mathématiciens de notre problème ».

Presque tous ? Sands doute puisqu’il ajoutera plus tard : « J’ai résolu mon équation ».